Le marquis de Sade à Madame de Sade- fin 1783          

 

Charmante créature,

Vous voulez mon linge sale, mon vieux linge. Savez-vous que c’est d’une délicatesse achevée ?  Vous voyez comme je sens le prix des choses.  Écoutez, mon ange, j’ai toute l’envie du monde de vous satisfaire sur cela, car vous savez que je respecte les goûts, les fantaisies, quelque baroques qu’elles soient, je les trouve toutes respectables, et parce qu’on n’en est pas le maître, et parce que la plus singulière et la plus bizarre de toutes, bien analysée, remonte toujours à un principe de délicatesse.  Je me charge de te prouver quand on voudra.  Vous savez que personne n’analyse ces  choses-là comme moi.  J’ai donc, mon petit chou, toute l’envoie du monde de vous satisfaire.  Cependant je croirais faire une vilenie que de ne pas donner mon vieux linge à l’homme qui me sert.  Je l’ai donc fait, et le ferai toujours.  Mais vous pouvez vous adresser à lui.  Je lui en ai déjà dit une parole, à mot couvert, comme vous croyez bien.  Il m’a compris, et il m’a promis de vous le recueillir.  Ainsi, ma lolotte, tu t’adresseras à lui, je t’en prie, et tu seras satisfaite. – Ah, juste ciel ! si, par une voie aussi courte et aussi facile, il m’était possible de me procurer tout plein de choses de toi, bien tôt dévorées, si je les tenais, comme j’irais, comme je volerais, comme je paierais au prix de l’or, comme je dirais :  Donnez, donnez, Monsieur, cela vient de celle que j’adore !  Je respirerai les atomes de sa vie ; ils enflammeront le fluide qui coule dans mes nerfs ; ils porteront quelque chose d’elle au sein de mon existence – et je me croirai heureux.

Cela posé, me ferez-vous l’amitié, ma reine, de m’envoyer du linge neuf, attendu l’extrême besoin que j’en ai .

 

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