Victor Hugo à Juliette Drouet               

    

   

7 mars 1833

Je vous aime, mon pauvre ange, vous le savez bien, et pourtant vous voulez que je vous l’écrive.  Vous avez raison.  Il faut s’aimer, et puis il faut se le dire, et puis il faut se l’écrire, et puis il faut se baiser sur la bouche, sur les yeux et ailleurs.  Vous êtes ma Juliette bien-aimée.

Quand je suis triste, je pense à vous, comme l’hiver on pense au soleil, et quand je suis gai , je pense à vous, comme en plein soleil on pense à l’ombre.  Vous voyez bien Juliette, que je vous aime de toute mon âme.

Vous avez l’air jeune comme un enfant, et l’air sage, comme une mère, aussi je vous enveloppe de tous ces amours-là à la fois.

Baisez-moi, belle Juju !

 

 

 

Septembre ou octobre 1834

 

Je ne suis pas libre ce matin, et jamais pourtant je n’aurais eu tant besoin de te voir.  Oh ! que je voudrais pouvoir courir chez toi en ce moment !  Comment vas-tu ?  Comment as-tu passé la nuit ?  Tu étais hier souffrante.  Je suis dévoré d’amour et d’inquiétude.  Oh ! ma joie, ma vie, ma bien-aimée !

Je suis triste ce matin, j’ai peur que las allants et venants du dimanche ne m’empêchent d’être auprès de toi aussi vite et aussi longtemps que je voudrais.  Pourvu encore que toi-même de ton côté tu puisses venir !  pourvu que la fièvre que tu avais hier ne t’empêche pas de sortir aujourd’hui ! Oh ! plains-moi.

Oh! n’est-ce-pas ? tu viendras ? tu te portes bien ?  je te verrai  Oh ! j’ai tant d’amour à te donner, tant de baisers à te prodiguer, sur tes pieds parce que je te respecte, sur ton front parce que je t’admire, sur tes lèvres parce que je t’aime !

Ce n’est pas une couronne que tu devrais avoir sur la tête, c’est une étoile.

 

 

        Juliette Drouet à Victor Hugo      

 

Guernesey, 20 février 1857

Vendredi soir 7 heures

Je ne suis pas revenue du bain assez tôt pour te revoir avant ton dîner, mon cher adoré, mais je tâche de tromper la faim de mon cœur et de mon estomac en des faïences illustrées.  Jusqu’à présent je dois dire que cela ne fait que m’aiguiser l’appétit et surexciter mon inspiration artistique, poétique, bucolique alcoolique et Céramique.  Ça vous apprendra  à me prendre pour une cruche et à me proposer des choses qui sont immorales, cela vous apprendra encore à ne pas demander de restitues sans rime ni raison quand vous savez que je vous aime plus que plein mon cœur.  Aussi ne venez pas vous plaindre de ma stupidité quand même elle vous donnerait des horripilations d’indignation et baisez-moi tout de suite.

 

 

Guernesey, 21 mai 1866

Lundi matin 7 h un quart

Cher adoré bien aimé, ta lettre a toutes les senteurs du paradis et tout l’éclat des astres.  J’en ai l’enivrement  et l’éblouissement comme si je respirais ton âme en pleine lumière de ton génie. J’en suis ravie et confuse comme le jour ou tu m’as dit pour la première fois : Je t’aime.  À ce moment-là.  J’avais peur de n’être pas assez belle pour tes baisers aujourd’hui je crains de n’être pas assez ange pour ton amour ; et pourtant Dieu sait si je t’aime et comment je t’aime.  Mes scrupules sont encore de l’amour.  Modestie et orgueil, fierté et humilité, tout est amour en moi.  Je t’admire comme un humble esprit que je suis ; je t’adore comme un être divin que tu es.

 

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