Paul
Verlaine J'ai
presque peur, en vérité,
À la radieuse pensée Mon
rêve familier Je
fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une
femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime Et
qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni
tout à fait une autre, et m'aime et me comprend. Car
elle me comprend, et mon coeur, transparent Pour
elle seule, hélas ! cesse d'être un problème Pour
elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle
seule les sait rafraîchir, en pleurant. Est-elle
brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore. Son
nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme
ceux des aimés que la Vie exila. Son
regard est pareil au regard des statues, Et,
pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion
des voix chères qui se sont tues. Verlaine
Tant je sens ma vie, enlacée
Qui m'a pris l'âme l'autre été,
Tant votre image, à jamais chère,
Habite en ce cœur tout à vous,
Mon cœur uniquement jaloux
De vous aimer et de vous plaire ;
Et je tremble, pardonnez-moi
D'aussi franchement vous le dire,
À penser qu'un mot, un sourire
De vous est désormais ma loi,
Et qu'il vous suffirait d'un geste,
D'une parole ou d'un clin d'œil,
Pour mettre tout mon être en deuil
De son illusion céleste.
Mais plutôt je ne veux vous voir,
L'avenir dut-il m'être sombre
Et fécond en peines sans nombre,
Qu'à travers un immense espoir,
Plongé dans ce bonheur suprême
De me dire encore et toujours,
En dépit des mornes retours,
Que je vous aime, que je t'aime !